Une serre pour le Triton Crêté
#15
Architecture, master ENSAPLV
Si Jia Wang
Texte, master IEDES
Keïla Camara
Ce projet consiste en la création d'une serre flottante adressée au triton qui prospère dans les eaux douces à travers l'Europe et dont la présence sur le plan d’eau est probable. Cette structure, fabriquée à partir de bouteilles d'eau recyclées et d'un morceau unique de bois flotté, sert à la fois de sanctuaire pour le triton et de rappel du passé colonial de la France. Les bouteilles thermoformées, façonnées selon les motifs du bois flotté et reliées par des bouchons bleus, évoquent les myosotis aquatiques bleus dans lesquels les tritons déposent leurs œufs.
Situé dans le Jardin d'agronomie tropicale de Paris, un jardin marqué par son histoire et l’expositions coloniale de 1907, ce projet établit un parallèle entre les pérégrinations du triton dans des eaux inexplorées et le récit colonial fait d'explorations et d'exploitations. La serre présente des plantes Hypoestes, originaires de régions tropicales, évoquant la vocation initiale du jardin de présenter des flores exotiques des différentes colonies.
Chaque élément de la structure reflète l'habitat naturel du triton : les textures évoquent les berges des rivières et les courbes organiques rappellent les méandres des cours d'eau. La partie submergée, plantée de myosotis bleus, offre un refuge discret, tandis que la partie flottante ressemble à une île paisible, invitant à l'observation de la vie aquatique. Ce design vise à restaurer l'équilibre entre l'homme et la nature, soulignant notre engagement envers la biodiversité.
En fournissant un sanctuaire pour le triton, ce projet reconnaît la relation complexe entre les humains et les animaux, façonnée à la fois par la fascination et la peur. Il invite les spectateurs à réfléchir sur cette dynamique, favorisant une connexion plus profonde avec le monde naturel et une reconnaissance de nos responsabilités écologiques.
Si Jia Wang
Le triton crêté aime naviguer dans les eaux douces, se cacher dans les rivières belges, les lacs scandinaves et autres ruisseaux espagnols, grecs et italiens. Habitant des hauteurs, on peut le trouver parmi les frondaisons des montagnes, naviguant paisiblement dans les zones ensoleillées des Alpes. C'est un animal doux, calme à la limite entre le lézard et le têtard.
Pourtant, son image est teintée d'une connotation bien différente. Dans l'imaginaire collectif, le triton est associé à la navigation et au voyage. Durant l'Antiquité, il fut représenté tel une créature mi-homme mi-poisson, évoquant la peur ancestrale de l'inconnu, cette hybridation symbolique rendant le triton, celui que l'on reconnaît, comme similaire à soi, mais aussi celui que l'on craint pour sa différence. Cette relation entre l'homme et l'animal est complexe, oscillant entre adoration et terreur, façonnant ainsi des croyances et des légendes qui hantent nos songes.
Tel une figure jaillissante des mers, tel le Triton du Bernin, l’animal se tord dans l’espace et montre une tension dans sa courbure particulière qui nous invite à nous pencher de plus près. Cette tension du corps est celle de l'animal tranquille, certes, mais craintif. Est-ce à nous de nous adapter à lui, ou doit-il s'adapter a nous ? À travers le triton se pose la question de l'intégration, de ces hommes et ces femmes que l'on a sortis hors de l'eau, de leur territoire, pour les insérer dans ces petites maisons de poupées fragiles, presque transparentes, afin de les observer sous toutes leurs facettes. C’est une nouvelle maison de poupée que nous créons sur ce lac, un observatoire, un pont entre nous, vous et eux.
Malgré cette dichotomie entre sa nature tranquille et l'imagerie qui l'entoure, l'homme demeure fasciné par le triton, captivé par sa différence tout en ressentant une proximité mystique. C'est dans cet équilibre fragile entre le familier et l'étrange que se construit le lien entre l'homme et l'animal et que l'on retrouve dans notre structure.
Ainsi, la création d’un abri flottant, mêlant subtilement terre et eau, cherche à recréer cet habitat pour le triton. Cette construction permet à la fois de le protéger et de le mettre en valeur, offrant un refuge reconnaissable tout en préservant son mystère à l'image d’une petite maison cachée dans les bois. Dans cette structure, chaque élément est pensé pour refléter l'essence même du triton et de son habitat.
Les matériaux choisis évoquent les textures des berges où il aime se dissimuler, tandis que les courbes organiques rappellent les méandres des cours d'eau qu'il explore. La partie immergée de la structure offre un refuge discret où le triton peut se cacher et se reposer à l'abri des regards indiscrets, tandis que la partie flottante émerge telle une île paisible, invitant les curieux à observer la faune aquatique dans son environnement naturel. À travers cette création, l'homme cherche à rétablir un équilibre entre lui-même et la nature, reconnaissant sa dépendance à l'égard de ces créatures mystérieuses qui peuplent nos rivières et nos lacs. En offrant un sanctuaire au triton, il témoigne de sa volonté de préserver la biodiversité et de maintenir l'harmonie fragile qui unit tous les êtres vivants.
Keïla Camara