La grenouille d'osier

#11

Architecture, master ENSAPLV
Emma Coppens

Texte, master IEDES
Garance Desplat

La grenouille est une espèce fascinante du fait de sa transformation de têtard a grenouille. La grenouille verte est une espèce emblématique européenne en danger et qui fait partie des rares espèces produisant un « chant ». En jouant sur la métaphore de la fable de la Fontaine « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf », cette structure critique le passé colonial de ce parc. L’Homme a toujours cherché à en faire plus et montré qu’il était le plus fort au détriment de ce qu’il détruisait. Ce radeau a pour ambition d’accueillir les grenouilles vertes en favorisant leur reproduction. L’installation représente une tête de grenouille gonflant les joues, elle est faite d’osier et de rotin tissé à la main, de bois pour la structure et de liège pour la flottabilité. En son cœur, on retrouve myosotis, iris des marais et menthe aquatique, plantés dans de la bourde coco. La volonté est de construire uniquement en matériaux naturels.

Emma Coppens

Je traverse lentement la surface de l’eau, mes yeux observant les milliers d’insectes à ma disposition pour mon repas. Puis je me pose grassement sur un rocher au soleil, seul moyen pour faire chauffer mon corps. La journée se passe, je me languis, quand soudainement je sens une grande ombre s’avancer et couvrir le beau rocher où j’avais choisi refuge. J’ouvrais les yeux près à en découdre quand je vis devant moi un bœuf : un majestueux animal dont la corpulence dépassait toute mon imagination. Moi-même je me regardais en ne sachant que penser de ma petitesse. Cependant, je ne me rabaissais pas face à lui si facilement, on me connaît depuis des générations pour mon ingénuité et ma manière de contrôler mon environnement. J’ai ainsi développé des capacités pour légèrement modifier ma couleur et passer inaperçue, je suis connue de par le monde pour être l’une des dix plaies d’Égypte. A l’international, je représente la guérison et la sagesse et j’ai su conquérir un territoire qui m’appartient et que je contrôle. J’ai un sang royal dans ma lignée car je me transforme souvent en prince. Seulement, la présence même de ce bœuf me dérange. Il n’est pas censé accaparer l’espace comme il le fait, je suis tout de même la plus grande et la plus forte et je vais lui montrer. Ainsi je commençais à m’enfler, m’enfler dans un aveuglement le plus total. Certaines de mes sœurs me disaient qu’il n’était pas possible d’enfler autant, qu’elles-mêmes avaient étudié la nature et vouloir trop la dépasser ne ferait que détruire nos intérêts. Mais je décidais d’enfler, toujours et plus fort.

En enflant, j’ai d’abord décidé d’accaparer l’environnement pour le mettre à ma merci et montrer qui était la plus forte, mais cela ne suffisait pas. Puis j’ai décidé de construire un empire, d’aller vers des terres plus loin pour me les approprier et soumettre d’autres populations. Je les ai utilisées pour leur force de travail, pour justifier ce système de domination et je les ai même un moment parqué dans des enclos pour les montrer à des spectateurs, pour leur prouver qu’elles n’avaient même pas un niveau au-dessus des autres espèces. Au-delà̀ de la Manche, les anglais aimaient nous appeler les froggies et nous faisaient une guerre cruelle pour le contrôle des territoires. Cependant, l’ombre du bœuf était toujours là. Alors j’ai continué à piller, ne m’arrêtant pas au sol mais aussi en envahissant l’espace, l’eau, les sous-sols, en extrayant les milliards de ressources sans même connaître la moitié des richesses autour de moi. Je devenais folle, l’appel de mes autres sœurs qui voyaient que j’enflais et qui essayaient de me prévenir de la catastrophe restait vain. Je me croyais proche du but, au bout de cette longue course qui pourrait prouver au monde entier que j’étais au-dessus de tout. Et puis .... BOOM ! J’explosa.

Telle un ballon de baudruche, tous mes efforts pour grossir avaient fini en fumée et m'avaient amené à me détruire moi-même. Mais non, attendez, me serais-je arrêtée un peu plus tôt ? Je me dégonfle tout juste sans arriver à l’explosion critique, arrêtant cet égoïsme dévastateur. Je construis mon refuge au cœur des autres systèmes, je le nourris sans détruire autour. Imaginez alors une tout autre histoire, une histoire où chaque espèce aurait trouvé sa place sans vouloir prendre celle des autres, une histoire où chaque espèce aurait pu grandir et s’élever. Ce récit est librement inspiré de la fable de la Fontaine La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Dans beaucoup de récits mythologiques, la grenouille est un animal de l’apocalypse, du mal. Ici poussée à son paroxysme, cette représentation cherche à faire réfléchir sur la place de chaque être vivant et de son impact sur l’écosystème. L’emplacement de ce récit au sein du Jardin d’agronomie tropicale ne fait que renforcer le discours: certains humains ont été prêts à en considérer d’autres comme des animaux et à les montrer dans des zoos, notamment pour le cas du jardin lors de l’exposition coloniale de 1907. Cette histoire fait partie du symbole colonial, capitaliste et anticipe les problèmes environnementaux futurs. Que ce serait-il passé si les grenouilles avaient décidé de prendre le pouvoir sur le monde ? Si elles avaient décidé de gonfler sans regarder les effets que cela crée autour d’elles ? Cette fable ne cherche pas à être moralisatrice comme celle de la Fontaine mais bien à reprendre cette forme pour inclure le spectateur et la spectatrice à une référence culturelle française que beaucoup peuvent connaître, tout en permettant une réflexion plus globale sur l’impact de la société humaine. Cette inclusion peut être une clé pour changer nos perceptions de la nature comme différente de la culture. La nature devient culture populaire, ici matérialisée par l’inclusion de la fable dans ce dispositif. Ce récit cherche donc à lier ces différentes perspectives pour ne pas laisser un sentiment de désarroi ou de simple spectacle mais bien un appel à prendre part à ce récit et à se sentir concerné.e dans ces problématiques. Les grenouilles sont néanmoins aussi le symbole de la transformation et de l’éveil, sa couleur verte celui de l’espoir. Cette petite structure que vous pouvez observer est vouée à accueillir des têtards, symbole du futur. Cette structure est là pour matérialiser la cohabitation, l’entente des espèces et les liens qui existent entre les milieux. Elle se fait le refuge des têtards et le lieu de transformation de cette magnifique espèce qui tend à disparaître aujourd’hui.

Garance Desplat

La grenouille verte